Bières et fromages : comment les abbayes se financent
Comment se financent les abbayes ? Au pays de la bière, l’un des produits phares est logiquement cette boisson très appréciée par les consommateurs.
Mais il y a bière d’abbaye et bière d’abbaye.
Il y a tout d’abord les bières trappistes, brassées au sein d’une abbaye cistercienne sous la supervision de la communauté monastique. Elles peuvent du coup fièrement afficher le logo "Authentic Trappist Product", ce qui n’est plus le cas de l’Achel depuis quelques mois. En cause : départ des deux derniers moines de l’abbaye Saint-Benoît partis rejoindre l’été dernier la communauté de Westmalle pour des raisons de santé. Les bières trappistes authentiques sont désormais au nombre de cinq en Belgique : Westvleteren, Westmalle, Chimay, Rochefort et Orval.

Il y a aussi les bières d’abbaye élaborées en dehors des murs de l’enceinte du bâtiment, sauf rare exception, cette fois par un brasseur privé.
Plus de logo Trappist, cette fois, mais bien un logo qui représente un verre de bière devant un vitrail stylisé surmonté par l’inscription bilingue "Bière belge d’abbaye reconnue - Erkend belgisch Abdijbier".
Pour pouvoir apposer ce logo sur l’étiquette, la bière d’abbaye "reconnue" doit avoir un lien avec une abbaye existante ou ayant existé et verser des royalties à ladite abbaye.
Le cas le plus célèbre est celui de la Leffe, l’une des marques phares du géant brassicole belgo-brésilen AB InBev. L’Affligem, quant à elle, appartient au groupe Heineken, via sa filiale Alken-Maes. Si l’étiquette de l’"Abbey Ale" de la St. Bernardus affiche la mine souriante d’un moine, elle est pourtant orpheline du logo en raison de l’absence d’un lien avec une abbaye.
Le point commun entre ces abbayes, c’est que la production de bières - la plus connue - mais aussi de fromages (Chimay, Orval, Grimbergen, Maredsous…), de pain et d’hostie (Notre-Dame de Soleilmont), de glaces (Averbode) ou encore de savon ou de shampoing (Notre-Dame de Nazareth) repose sur la nécessité de trouver des ressources financières pour le bon fonctionnement de l’institution. C’est aussi, bien souvent, un volet sociétal loin d’être négligeable.
Financer la rénovation
"La brasserie de l’abbaye de Saint-Sixte a pour but de pourvoir au financement de ses activités et de ses œuvres sociales", résume sur son site la communauté monastique de Westvleteren.
Voilà bientôt dix ans, Westvleteren s’était résolue à vendre une partie de sa production dans le commerce, à savoir quelque 93 000 coffrets à 25 euros écoulés chez Colruyt, alors que l’achat a toujours impliqué un pèlerinage dans la vallée de l’Yser, après réservation. Pas de coup marketing de la part des moines de Westvleteren, mais bien la nécessité de trouver des fonds supplémentaires pour financer des travaux de rénovations.
Moins connues que la communauté de Westvleteren, les moniales trappistes de l’abbaye Notre-Dame-de-Nazareth à Brecht produisent depuis plus d’un demi-siècle des liquides vaisselles "afin de subvenir à leurs propres besoins".
Elles proposent aussi depuis 2019 un shampoing… à la trappiste. "Les moniales plus âgées se souvenaient qu’à l’époque la bière servit à friser et faire briller les cheveux. Nous avons demandé à l’Institut Meurice à Bruxelles d’entamer une étude scientifiquement fondée sur les bienfaits de la bière pour la peau et les cheveux", avait à l’époque souligné Sœur Katharina, abbesse de l’abbaye Notre-Dame-de-Nazareth.
C’est ainsi qu’un shampooing composé de 10 % de la Westmalle Dubbel a vu le jour, depuis lors rejoint par un savon mains et du gel douche à la trappiste. Le site trapp.be permet même des achats en ligne.
Les revenus des ventes des produits trappistes ont aussi une dimension sociétale. "Avec ce lancement, nous souhaitons poursuivre notre mission, en tant que brasserie trappiste, de développer la région et de soutenir les œuvres à caractère social" évoquait voilà peu Chimay dans sa communication à propos de l’arrivée chez les spécialistes en bières de sa dernière née, la "150".
Fondation pour gérer les royalties
Les moines de Chimay ont confié à la Wartoise, du nom du modeste cours d’eau qui traverse le parc de l’abbaye de Scourmont, le soin de "contribuer au développement intégral de la région". Depuis 2020, "certaines actions et appels à projets s’ouvrent à 13 communes du sud de l’Entre-Sambre-et-Meuse" depuis 2020.
Les chanoines prémontrés de l’abbaye Notre-Dame de Leffe se sont d’ailleurs inspirés de la démarche des moines de l’abbaye de Scourmont pour créer la fondation Cyrys, chargée de gérer les millions d’euros versés chaque année au titre de royalties par le brasseur AB InBev.
"La vision de la Fondation Cyrys est de construire, dans sa région, un monde plus solidaire, sobre et respectueux des écosystèmes, en permettant à chacun d’y prendre sa place", relate-t-elle sur son site.

Que serait l’abbaye de Grimbergen sans la bière
Le bâtiment de l’abbaye est tout à la fois élégant et imposant, flanqué par la basilique Saint-Servais, dont le chœur accueille des tableaux de saint Norbert.
"Notre abbaye est la plus ancienne fondée par saint Norbert", rappelle le père Karel, proviseur de l’abbaye de Grimbergen, située au cœur même de cette commune du Brabant flamand. "C’est le seigneur Gauthier Berthout qui lui avait demandé de construire un lieu de prière à cet endroit."
Près de huit siècles plus tard, l’abbaye continue à accueillir une communauté d’une quinzaine de chanoines appartenant à l’ordre des Prémontrés. "Nous ne sommes pas des moines", insiste le père Karel.
Les chanoines ne vivent pas en autarcie. Lui-même a officié comme curé dans la paroisse de Merchtem pendant dix-sept ans. Comme les autres membres de la communauté affectés à une paroisse, il reversait son salaire à l’abbaye.
Retraites interdites
Depuis 2010, il est proviseur de l’abbaye, s’occupant de l’entretien du bâtiment, mais aussi des finances. "Si nous n’avions pas les revenus de la bière, je devrais fermer l’abbaye", assène-t-il.
Les revenus directs de l’abbaye via la rétrocession des salaires sont en effet limités, d’autant qu’il n’est pas possible d’y effectuer une retraite. "Nous avons beaucoup de petites chambres, mais nous ne pouvons pas accueillir des hôtes car la structure est en bois."
Trop dangereux pour des raisons de sécurité, d’autant que l’abbaye a déjà brûlé à plusieurs reprises par le passé. Depuis 1629, le phœnix est d’ailleurs son emblème et "Ardet Nec Consumitur" sa devise, qui signifie "la flamme ne s’éteint jamais" en latin.
La véritable renaissance de l’abbaye de Grimbergen pour l’époque moderne remonte sans doute à 1958. C’est l’année de l’Expo universelle de Bruxelles.
Le brasseur Maes (devenu ensuite Alken-Maes, groupe Heineken) a alors l’idée de relancer la Grimbergen à la faveur de cet événement organisé au Heysel, soit à un jet de pierre justement de l’abbaye. Il faut toutefois attendre jusqu’en 2008 pour que les royalties perçues sur les ventes de bières prennent de l’ampleur. "C’est alors que le groupe Carlsberg a racheté la licence pour vendre la Grimbergen à l’international."
Un rêve
"Ce qui est très important, c’est que nous restons gardiens de la recette, ajoute le père Karel Stautemas, qui est lui-même devenu brasseur entre-temps. C’est la concrétisation d’un rêve."
Ce rêve a pris la réalité d’une micro-brasserie installée depuis quelques mois maintenant dans l’enceinte même du bâtiment, permettant aux trois nouvelles bières d’être brassées au sein même de l’abbaye.
"Cette micro-brasserie est un laboratoire", poursuit le père-brasseur : toutes les nouvelles bières Grimbergen seront en effet lancées dans les cuves de Grimbergen. Avec toutefois une production locale limitée à 10 000 hectolitres par an. Un espace Horeca - le Fenikshof -, avec vue sur le jardin et la micro-brasserie, a aussi ouvert ses portes dans l’enceinte de l’abbaye.
Moins connu, il y a aussi le fromage de Grimbergen, fabriqué par le groupe fromager Lindenhof. C’est encore du pain d’abbaye affichant lui aussi le célèbre Phoenix.
Les revenus de ces produits permettent aussi de soutenir des projets, notamment en Afrique du Sud où Grimbergen est présent depuis de nombreuses années.
C’est aussi des demandes directes. "Il est rare que l’on sonne à la porte de l’abbaye, mais quand c’est le cas, c’est toujours après 17 heures lorsque les bureaux du CPAS sont fermés", explique le père Karel. L’approche de l’abbaye est plutôt d’aider à la source, dans les paroisses mêmes. "Là, nous connaissons les gens, nous pouvons discuter avec eux et les aider en fonction de leur situation." P.D.-D.
30/07/2021 l'articles de presse rassemblés et relayés par Patrice LEVANNIER

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