Courir la gueuze dans le Pajottenland (1/3): Lambiek Fabriek, la p’tite nouvelle qui remonte les bret(t)elles aux anciens
Cet été, L’Avenir vous emmène aux frontières de… Bruxelles. À un jet de bière, dans la vallée de la Senne, vous dégusterez les fameuses gueuzes, élevées à la levure sauvage «brett». Dans le Pajottenland, la plupart des brasseries se relient à vélo. Première étape chez Lambiek Fabriek, jeune boîte au lambic 100% maison.
Elle se crée spontanément, par la magie de la levure «brettanomyces bruxellensis» («brett»), dans les caves, hangars, vieilles fermes et entrepôts industriels de la vallée de la Senne: la gueuze. Assemblage de lambics, un brassin typique du Pajottenland à base d’orge et de froment, elle est inséminée par une nuit frisquette de l’automne au printemps. Mise en barriques, elle mâture ensuite jusqu’à 4 années, voire plus. Avant de prendre son pétillant dans ces belles bouteilles vert forêt, capsulées ou muselées. Et devenir l’une des bières les plus recherchées au monde, explosant parfois des records au marché noir, surtout en Amérique.
Ce breuvage à l’acidité née de la patience de ses brasseurs, peu de Belges en font leur quotidien. Il ne faut pourtant que quelques coups de pédales depuis Bruxelles (carte ci-dessous depuis la gare du Midi) pour pousser les portes des brasseries et couperies et, au fil des chemins de halage et de remembrement, s’enivrer des parfums aigrelets de céréales, de fruits jaunes, de pommes, de bois, de cerises, qui s’évadent des goulots épais à peine débouchés.
N’importe quel brasseur ne peut pas utiliser le terme «oude gueuze»: celui-ci bénéficie d’une protection européenne. Seuls les artisans de la vallée de la Senne peuvent en brasser
Au fil du canal Bruxelles-Charleroi, à la frontière de la capitale, L’Avenir vous emmène humer cet inestimable patrimoine. Alors qu’il s’y trouvait jadis 90 brasseurs et 120 coupeurs, ils ne sont plus qu’une douzaine à faire vivre agriculteurs et fruiticulteurs du Pajottenland. Sans oublier d’abreuver les astres avec la part des anges.
«Dans le café de ma grand-mère, les clients sucraient la gueuze»
Première étape: Lambiek Fabriek à Sint-Pieters-Leeuw.
Avant la première étape, quittez la gare du Midi et faites une chicane vers la seule brasserie de lambic subsistant à Bruxelles: la mythique Cantillon et ses salles de garde soutenues de lourdes poutres. Vous pourrez y prendre le carburant nécessaire à la promenade de quelque 30km qui vous attend vers la campagne flamande. Gagnez l’industrieuse rue de Liverpool vers Molenbeek et traversez pour rouler sur la rive nord du canal, quai de Mariemont: 10km le long de l’eau vous séparent des grilles de la Lambiek Fabriek, à Sint-Pieters-Leeuw. Pour y arriver, repassez rive sud à l’écluse d’Anderlecht puis roulez jusqu’à l’écluse de Ruisbroek. Prenez le pont puis trouvez votre chemin jusqu’à la rue Georges Wittouck où vous accueillent les casiers de Belgoo, dont Lambiek Fabriek partage les installations.
La jeune brasserie née en 2016 a commercialisé sa première gueuze un an plus tard. «On a encore un lot de 2017», pointe Jo Panneels, ancien infirmier psychiatrique qui a bossé pendant 6 ans… avec les alcooliques. «J’ai fait le chemin à l’envers!», rigole le sympathique entrepreneur en sirotant son café dans un verre droit à lambic.
On voulait commencer une «stekerij», une couperie. Ça semblait plus simple. Mais ça devenait difficile d’obtenir la bière chez Boon ou Lindemans
On peut dire que Jo Panneels est né dans le lambic. «Ma grand-mère avait un café à Dworp. Un truc avec des vieux peïs. J’ai toujours bu de la gueuze. Pour moi, c’est la bière normale». Un goût d’enfance, quoi. «Gamin, mon grand-père m’envoyait à la cave ouvrir les bouteilles. La qualité, c’était pas top. La gueuze à l’époque, c’était fini. Tout le monde rajoutait du sucre dedans. Boon et 3 Fonteinen ont ensuite travaillé sur la qualité». L’Horal, Haut conseil pour bières lambics artisanales (Hoge Raad voor Ambachtelijke Lambiekbieren) fondé en 1997, revitalise en effet la tradition et protège la «oude gueuze».
Refroidisseur
Jo Panneels se lance en 2008 après une soirée arrosée à la gueuze et à la kriek dans un bar de Ruisbroek. «On pensait qu’on pourrait faire mieux mais on a explosé nos premières dames-jeannes: on avait oublié le barboteur!» Dans la foulée, un premier fût de 220 litres est ramené des vendanges. «On voulait commencer une “stekerij”, une couperie. Ça semblait plus simple». Plutôt que de brasser son lambic, le coupeur achète la production ailleurs et crée ses propres assemblages. «Mais ça devenait difficile d’obtenir la bière chez Boon ou Lindemans».
C’est ainsi que Lambiek Fabriek installe chez Belgoo ses cuves de brassage et son refroidisseur. Le site de la rue Georges Wittouck devient le QG des «trois Jo»: c’est Jozef Van Bosstraeten, associé de Jo Panneels, qui brasse dans les locaux de Jo Van Aert, fondateur de Belgoo. «Les installations sont séparées car Jo ne veut surtout pas contaminer ses cuves de Belgoo avec la levure sauvage brettanomyces». Le refroidisseur se loge en hauteur, sous l’appentis de l’entrée. «À nouveau, c’est pour que les levures sauvages ne se propagent pas. Mais c’est beau et la température est stable, entre 18 et 19 degrés: c’est l’idéal».
Les gens demandent tout le temps des nouveautés. Alors on expérimente. Ça relance aussi l’intérêt pour nos basiques
Ensuite, le lambic 100% Lambiek Fabriek repose en foudres «pour minimum 1 an, et minimum 3 ans pour la oude gueuze ou oude kriek». Les tonneaux s’empilent au fond du hangar, sur des étagères oranges. «On commence à être à l’étroit», concède Jo Panneels en datant sans faille les différents brassins «qui riment avec Bruxelle» de Brett-Elle (gueuze), Jart-Elle (kriek), Fontan-Elle (jeune lambic), Muscar-Elle (raisin du Limbourg), Black-Belle (cassis) ou Schar-Elle (cerises de Schaerbeek produites à Tirlemont). «Le corps s’épaissit avec l’âge, le côté boisé aussi. On goûte durant le vieillissement pour repérer les défauts. Il ne faut pas que le vinaigre prenne le pas sur l’acide lactique des bretts. Ni qu’on goûte le beurre à cause du diacétyle».
Médicament
Dans le chêne patientent une imminente Colon-Elle vieillie en barriques de whisky de Het Anker à Malines ou une mystérieuse Caram-Elle, «plus forte, avec plus de grain, quelque chose de foncé». Venue des microbrasseries indés anglo-saxonnes, l’exigence d’innovation contamine désormais la gueuze comme les bretts un brassin frais. Et gouverne la politique commerciale de Lambiek Fabriek. «Les gens demandent tout le temps des nouveautés. Alors on expérimente sur notre lambic. On va sortir un truc à la rhubarbe. Ça relance aussi l’intérêt pour nos basiques». Jo Panneels développe parallèlement une gamme bio avec la Natur-Elle (gueuze) ou la Black-Belle (cassis): «Un tout autre marché qui pèse 20% de notre production».
Si la grille est ouverte, vous pouvez toujours entrer faire votre shopping. «Même pour une bouteille», promet le boss. «On a un voisin, la septantaine. Il arrive sur sa mobylette et il vient chercher son litre de lambic pour le mettre dans son frigo. Il le boit comme ça, tout plat. C’est son médicament, il dit».
07-07-2021, l'articles de presse rassemblés et relayés par Patrice LEVANNIER
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