Une nouvelle trappiste: les moines de Westmalle mettent en vente l'Extra, leur "bière de réfectoire"
Quelques mois après le lancement de la Triple de Rochefort, la famille des trappistes s’agrandit à nouveau. Cette fois, c’est l’abbaye de Westmalle qui sort de sa brasserie l’un de ses secrets les mieux gardés : l’Extra. Cette bière blonde dorée est une pale ale, une haute fermentation non filtrée et non pasteurisée, refermentée en bouteille dans la plus pure tradition trappiste. Mais alors que la plupart des bières des moines trappistes sont fortes, l’Extra se distingue par sa légèreté à 4,8% d’alcool et son côté rafraîchissant. Une sorte de mini-Triple Westmalle qui n’est pas une petite bière…
La bière quotidienne des moines
L’histoire des bières de l’abbaye de Westmalle est déjà ancienne. Ce monastère a été fondé en 1794 par des moines cisterciens fuyant la Révolution, nous apprend le brasseur et spécialiste Jef van den Steen. Ces religieux n’ont jamais atteint leur objectif, le Canada, et sur le chemin d’Amsterdam d’où ils comptaient embarquer, ils se sont arrêtés à Malle au nord d’Anvers. Les débuts sont extrêmement difficiles sous la République, l’Empire et même la domination néerlandaise. Elevée au rang d’abbaye, Westmalle n’a commencé à brasser qu'en 1836. De quoi désaltérer les frères, avec une brune assez légère. Une bière de ménage, plutôt douce mais nourrissante. Une vingtaine d’années après, une bière blanche de froment l’a rejoint comme bière de table, la brune devenant un rien plus forte.
La région est pauvre, les moines aussi et ils sont autorisés à demander l’aumône. Mais en 1873, ils décident d’arrêter de mendier pour plutôt commercialiser leur bière et leur fromage. La première vente à l’extérieur de l’abbaye remonte à 1861, suivie d’une commercialisation plus large, de livraisons à domicile. La Première guerre mondiale marque un coup d’arrêt avec le démantèlement des cuves de cuivre par l’occupant.
Le redémarrage en 1922 se fait sur base de deux bières : l’ancêtre de l’Extra qui porte déjà ce nom et une "strafbier" brune plus capiteuse additionnée de sucre candi qui évoluera vers la Double, tout simplement en doublant l’apport en matière sèche. L’Extra connaît plusieurs versions d’abord avec puis sans froment, et c’est sa forme pur orge ou pour reprendre la terminologie néerlandaise de l’époque "Extra Gersten", qui nous arrive aujourd’hui. Les travaux dans la brasserie dans les années 30 vont mener en 1934 à une troisième variété, une super bière définitivement baptisée Triple en 1956 et dérivée de l’Extra.
Ces trois bières voient leurs recettes évoluer dans un certain secret, mais toujours avec l’eau tirée de la nappe phréatique qu’il faut déferriser car elle est très ferrugineuse, mais qui reste très dure ce qui convient aux blondes. Les malts vont du pâle au sombre tels des malts de Basse-Franconie et de Beauce-Gatinais, selon le grand dégustateur britannique Michael Jackson quand il découvrait l’Extra il y a une trentaine d’années, mais selon lui, ils varient d’année en année en fonction de leur qualité. Les houblons sont aromatiques et en cônes, pas de pellets donc comme chez d’autres brasseurs trappistes… La levure est maison et se retrouve dans les brasseries de Westvleteren et Achel.
Actuellement, 24 moines vivent à l’abbaye qui compte également 87 employés laïcs, dont 51 travaillent dans la brasserie sous la supervision des moines.
Légère en alcool, forte en goût
L’appellation "Extra" est courante chez les trappistes. Cette bière aurait pu s’appeler "Single" ou "Simple" mais le terme "Extra" est plus commercial. Il ne faut pas parler de "petite bière", ce qui désigne un brassin coupé à l’eau comme l’Orval Vert ou "petit Orval", version allégée de l’Orval classique. La levure utilisée dans l’Extra est la même que pour la Triple ou la Double, la grande différence entre l’Extra et la Triple résidant en l’absence d’ajout de sucres. Au final, une bière moins ronde, mais plus rafraîchissante.
Il y a une trentaine d’années, dans son ouvrage de référence "Les grandes bières de Belgique", Michael Jackson lui trouvait "un caractère délicieusement délicat", à son palais l’Extra était "très sèche" et même "légèrement salée". Est-ce la même Extra aujourd’hui ? Sans doute pas tout à fait.
Aujourd’hui, les malts utilisés viennent de France et sont spécifiquement produits pour la brasserie. Les houblons sont tous européens : Allemagne, Slovaquie, République tchèque et pour une faible partie, Belgique.
La Westmalle Extra offre un goût houblonné et malté avec des touches fruitées qui rappellent la Triple, un parfum floral car ce sont bien des fleurs de houblon qui sont utilisées. Pétillance, finesse, un faux col abondant de mousse blanche : voilà pour le visuel. Au nez, de discrètes notes maltées, une touche de houblon. En bouche, du caractère, une attaque d’amertume, tempérée par un côté malté, mais un final amer. Plus une bière d’apéritif qu’une bière de table donc.
Jusqu’à présent, l’Extra n’était disponible que le vendredi matin à la porte de l’abbaye, c’était une bière réservée aux connaisseurs, très réputée, mais quasi impossible à déguster. La voici à présent distribuée plus largement avec une nouvelle étiquette où le bleu supplante le beige. En bouteilles de 33 cl et exclusivement dans les commerces spécialisés et dans l’horeca, malmené par la crise sanitaire, pour le soutenir. Un geste modeste mais qui sera apprécié. Par contre la bière ne sera plus en vente à l’abbaye. La production reste limitée, l’Extra représentera 2% des brassins de Westmalle, et de cela seuls 10% sont destinés à l’exportation.
La gamme de Westmalle est donc complète, au grand bonheur des amateurs et du grand public.
Ce développement s’inscrit aussi dans la recherche de plus de goût pour moins d’alcool, virage pris par les brasseries les plus intéressantes depuis quelques années. A ce titre, il aurait été regrettable de se passer plus longtemps de cette Extra, perle cachée du patrimoine brassicole belge.
Qu’est-ce qu’un trappiste ?
La bière trappiste ne constitue pas un style de bière. Il s’agit de bières brassées dans une abbaye sous certaines conditions et portant le logo "Authentic Trappist Product".
Les règles les plus importantes pour qualifier une bière de trappiste sont :
Le produit doit être fabriqué à l’intérieur des murs d’une abbaye.
Il doit être produit par ou sous la surveillance de la communauté monastique et son exploitation doit être subordonnée au monastère.
Le produit doit être utilisé pour la subsistance des moines et pour l’entretien du monastère. Tout ce qui reste doit être consacré aux œuvres sociales et aux œuvres de bienfaisance.
Il faut protéger la marque déposée "Trappist" et les intérêts économiques communs des communautés trappistes ainsi que fournir des informations exactes sur l’Ordre des cisterciens de la stricte observance et stimuler la coopération entre les abbayes. Dans le monde, il n’y a que 11 brasseries trappistes dont les produits peuvent porter le logo "Authentic Trappist Product", cinq d’entre elles sont en Belgique : Westvleteren, Westmalle, Orval, Chimay et Rochefort. Jusqu’en janvier, cette liste en comptait une de plus, Achel, mais qui a perdu sa reconnaissance officielle suite au manque de moines. Les bières d’Achel continuent cependant à exister. Aux Pays-Bas, La Trappe a été rejointe par Zundert. A côté de cela il y a aussi Engelszell en Autriche, Spencer aux États-Unis, Tre Fontane en Italie et plus récemment Tynt Meadow au Royaume-Uni. En France, Mont des Cats fait brasser ses bières à Chimay.
16/03/2021, l'articles de presse rassemblés et relayés par Patrice LEVANNIER
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